L’acte de foi d’un comédien engagé
Par Sessi Tonoukuin
En première à Bamako, la pièce Elf, la pompe d’Afrique a été jouée mercredi 3 décembre sur les planches des Quartiers d’Orange. Ce procès de la politique néocolonialiste de la France en Afrique (la “Françafrique”), dont les textes sont tirés des propos réellement tenus en 2003 devant le tribunal parisien chargé de juger les principaux responsables de la firme pétrolière, a été mis en scène par le Français Nicolas Lambert. Une expression du théâtre documentaire sur fond d’or noir…
Le décor est simple. Un baril qui sert de pupitre au juge, au milieu d’une scène circulaire avec un présentoir de cartable. Trois portraits en couleur des présidents français De Gaulle, Mitterrand et Chirac, accrochés à un poteau noir et surmontés par une balance sur le côté jardin. Un comédien qui entre successivement dans la peau de cinq personnages. Voici l’arsenal scénographique choisi par Nicolas Lambert pour instruire à charge, condamner et enfin dénoncer la politique de domination indirecte de la France sur ses anciennes colonies d’Afrique. “Elf a été créé pour maintenir l’Algérie et les rois nègres dans l’orbite française par le biais du pétrole. Avec les Algériens, ça a capoté. Avec les rois nègres, ça se poursuit”, explique au tribunal, sans le moindre état d’âme, Loïk Le Floch-Prigent, président d’Elf de 1989 à 1993.
Une manière pour le comédien français de proclamer son acte de foi. “Je voudrais que les gens sachent ce qui ce passe”, affirme-t-il. Un engagement citoyen et militant en somme, qui constitue la trame de sa cinquième pièce: Elf, la pompe Afrique. Avec talent, Nicolas Lambert écrit et met en scène un fait réel à partir des déclarations tenues à l’audience. Il joue à la fois le rôle des avocats, des juges et des prévenus.
Sur la scène, l’acteur use de la caricature et de l’humour pour dénoncer des faits graves de corruption. L’ensemble des dialogues est issu des révélations tenues à la barre par les dirigeants d’Elf. Comme pour cette faramineuse (rétro-)commission de 150 millions de dollars versée pour une opération – avortée – de lobbying visant à exploiter le pétrole vénézuelien. Quatre personnages interviennent de manière récurrente: Loïk Le Floch-Prigent, président d’Elf à l’époque des faits incriminés, Alfred Sirven, ancien directeur des affaires générales du groupe, et André Tarallo, le “Monsieur Afrique” de la multinationale – sans oublier le président du tribunal.
Par une alchimie entre la lumière et un jeu d’acteur réussi, Nicolas Lambert se métamorphose tour à tour pour les faire s’exprimer à tour de rôle. L’intonation vocale, la gestuelle, l’expression corporelle et du visage facilitent l’incarnation successive par l’acteur de plusieurs personnages. Les suspensions d’audience sont l’occasion d’intermèdes musicaux du chanteur sénégalais Seydina Insa Wade. Par les sons mélodieux de sa guitare et les paroles de ses chants en wolof (la langue majoritaire au Sénégal), il tient le public en haleine jusqu’à la reprise de l’audience. À ces moments-là, Nicolas Lambert use de la magie du conteur pour solliciter la participation du public, qui se lève comme un seul homme au moment de l’entrée du président du tribunal.
Elf, la pompe Afrique incarne un mono-théâtre militant, avec des choix esthétiques réduits à leur plus simple expression. Même si le comédien réussit à merveille à se démultiplier, le spectacle aurait tout de même gagné à mettre en scène plus d’acteurs, afin de mieux matérialiser l’ambiance d’un procès théâtralisé. D’ailleurs, le comédien et metteur en scène explique que ce choix esthétique n’en est pas vraiment un: s’il évolue seul sur scène, c’est avant tout parce qu’il n’avait pas les moyens financiers de payer des comédiens. C’est dire si la mise en scène proposée ne reflète qu’imparfaitement la sensibilité du créateur.
Cette contrainte économique explique aussi le vide du décor, lequel donne l’impression d’une vacuité scénographique. Un décor aussi simpliste symbolise-t-il l’ambiance d’un tribunal? Pourquoi avoir choisi une scène circulaire? Ces options scénographiques suffisent-elles pour théâtraliser un procès et dénoncer les relations cyniques qui se poursuivent entre la France et ses ex-colonies? Nicolas Lambert ne semble pas vouloir s’embarrasser de ces questionnements: il pose avant tout un acte de foi militant et citoyen.
À lire également sur Cultur’Afrique:
* Le procès du “colonialisme pétrolier”
* Nicolas Lambert ne jouera pas sa pièce dans les Centres culturels français
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